mardi 5 juillet 2016

Déterminisme du rôle de l’agriculture dans l’organisation et la régulation des villes arabo-musulmanes:Cas de Testour et Kairouan


Auteur: Soumaya Ben Romdhane
Résumé :
Plusieurs écoles essayent de retracer les constructions des villes d’hier par le paysage.Les agriculteurs, les horticulteurs, les botanistes, les théoriciens, les architectes…ont le mérite de retracer la ville arabo-musulmane. Le monde musulman s’étend de l’Espagne à l’inde avec des capitales de rêve : Bagdad, Grenade,Kairouan, Le Caire, Damas…« A Bagdad furent reprises par les jardiniers arabes les animations hydrauliques et solaires extraordinaires…En Andalousie, à Cordoue, Séville et Tolède, et notamment dans les jardins de l’Alcazar à Séville, à l’aube du deuxième millénaire les jardiniers arabes d’Espagne créèrent les premiers jardins botaniques et précisèrent les techniques d’irrigation par bassins et rigoles d’irrigation. Le jardinier devient alors botaniste, herboriste et pharmacologue. Ibn-al-Baitar savait décrire avec talent la beauté des roses autant que leurs vertus médicinales et l’architecte de jardin et poète Ibn Lyuna indiquait comment choisir la disposition des jardins, des potagers et des bâtiments de travail… »(Donadieu et Rejeb, 2009, p25).Dans ce cadre, la recherche que nous menons s’organise autour de deux axes:Tout d’abord, une approche historique qui cherche à préciser rôle de l’agriculture  dans l’organisation et la régulation des villes arabo-musulmanes.La seconde partie présente une  approche contemporaine aménagiste qui cherche à trouver une stratégie contemporaine afin de tendre vers un idéal urbain(une ville saine où il fait bon vivre)  à la fois novateur (donc créatif) et anticipateur (donc réaliste), moyennant une inspiration du modèle paysager des villes arabo-musulmanes.
Mots clés :
Agriculture, jardins islamique, idéal urbain, ville verte, espace vert, culture de l’eau, irrigation…


Supports et logistique:
-Plan d’aménagement actuel de la ville de Kairouan (format pdf)
-Plan d’aménagement actuel de la ville de Testour (format jpeg)
-Plan de Kairouan Raqqada, gestion du patrimoine culturel 18/05/1998(format jpeg)
-Kairouan city Plan 1943(format jpeg)
Plan de la ville de Kairouan ministère de la guerre, Brigade topographique de Tunisie 1887(format jpeg)
Introduction :
L’empire islamique a dominé plus qu’un millénaire et il a envahi le demi de la planète. Comme toute civilisation cette expansion a laissé des traces sur l’humanité que nous les aborderons du côté urbanistique et architectural. Nous nous intéressons aux spécifications du paysage développé au cours de cette période en focalisant sur l’agriculture dans les villes arabo-musulmanes. Le paysage et l’agriculture sont certes le résultat du développement historique, culturel, esthétique et idéologique de l’activité humaine. En effet, l’islam est né dans un pays où « tout prédispose l’homme à apprécier les bienfaits de la nature, car elle n’en est guère prodigue » (Baridon, 1999, p.210). Le climat dur et très aride de la péninsule arabe fait rêver les habitants du paradis et du plaisir que procure cet espace. Louis Gardet, dans son article « Djanna » de l’encyclopédie de l’islam, décrit le paradis de la façon suivante :« Les jardins seront sublimes fontaines à l’eau jaillissante, fontaines aromatisées  de camphre ou de gingembre. Ils seront parcourus par des  ruisseaux d’une eau vive. L’ombrage des arbres magnifiques, rares et généreux sera large et étendu. On trouvera des fruits à profusion et à toute saison. Les épines des végétaux n’existeront plus. Des pavillons s’y trouveront, occupés pardes vierges (les houris), prêts à accueillir les élus.Des parterres de plantes belles et précieuses seront séparés les uns des autres par des canaux d’eau fraiche. Des chemins tracés en suivant les axes du jardin permettront de se promener dans ce paysage idéal. » (Gillot, 2006)
Dans le coran maintes versets décrivent le paradis et insistent sur le côté végétal de ce dernier, nous citerons en guise d’exemple:
« Les jardins seront sublimes, faits de matière raffinée et où l’on peut trouver le repos moral, la jouissance du corps et la satisfaction visuelle(…) » (Al Kahf, 18-31)
« Les jardins seront garnis de nombreuses fontaines à l’eau jaillissante, fontaines aromatisées de camphre ou de gingembre(…) » (Al Hijr, 15-45)
« Ils seront parcourus par des ruisseaux d’eau vive. Des plantes touffues ou clairsemées, avec un ombrage généreux et étendu d’arbres magnifiques et rares » (Al An’am, 6-141)
« On y trouvera des fruits à profusion et à toute saison » (Arrahman, 55-54)

Le premier Khalifa de l’islam, Abu bakr, donna l’ordre à ses soldats de n’abattre aucun palmier, de ne bruler aucun champ de blé, de ne ravager aucun verger car le coran enseignait que l’homme se devait protéger la nature.
Le mythe sur lequel se fonde le jardin c’est le paradis terrestre; un lieu de rencontre et d’harmonie  entre l’homme et la nature. Le jardin prend une dimension cosmique, métaphysique et mystique. « Le jardin est conçu comme un microcosme dans lequel est projetée l’idée du paradis » (Latiri, 2011). Les deux exemples les plus somptueux en Europe sont ceux d’Alhambra à Séville et de Généralife à Grenade.
Problématique :
Il semble que l’islam ait imprégné des manières de composer et de penser l’agriculture qui préexistait dans les régions où il s’est imposé.
Dans notretravail, on  propose d’analyser les paysages de Testour et de Kairouan pour mettre en évidence l'existence d'une culture paysagère spécifique. Nous étudions la manière dont la structure urbaine s’inscrit dans son territoire, la forme donnée aux espaces publics, les rapports établis entre les constructions et les espaces libres, le rôle des végétaux qui peuvent donner accès à une dimension symbolique.
Notre premier exemple est Testour qui est unecopie conforme des villes andalouses d’Espagne avec ses ruelles droites et bien tracées formant un échiquier, son architecture hispano-mauresqueet ses champs prospères. Elle a hérité de l’Andalousie des connaissances en botanique, hydraulique et irrigation (les moulins à eau..). " Elle se trouve sur la rive droite de la Medjerda. Elle occupe un terrain en pente douce, peu élevé. Les parties les plus basses de la ville sont à 70 mètres et celles les plus hautes sont à 107 mètres (par rapport au niveau de la mer). Testour est bordée de monticules d’environ 400 mètres de hauteur. Les monts AlHindî, Al-Luhûd, Sanâ al-Jamal et TallatMabrûka dominent la rive gauche, alors que les monts Jarwîl, ShablîetKharrûba dominent la rive opposée."L’agriculture héritée de l’Andalousieest très exprimée dans cette ville ; Dans chaque patio des maisons de Testour  on trouve l’arbre de ‘Naranj’ qui offre son parfum, ombrage et embellissement pour les membres de la famille. Dans les ‘Souani’(les grands vergers et potagers en périphérie de la ville), on constate une dominance du figuier, de l’olivier et de grenadier, ses espèces sont évoquées dans le coran d’où leur conation sacrée.« Des jardins d’oliviers parsèment la campagne d’alentour. Ceux de la rive droite sont désignés sous le nom andalous d’elBergil. » (Marçais,GPage 16). Que ce soit dans l’espace intérieur (patio) ou extérieur (swèni), les essences des jardins sont considérées comme bienfaisantes et sacrée.
Notre deuxième exemple est Kairouan qui est une  mégapole de l'Islam (une juxtaposition de cités associées) et une ville de steppe qui  a connu une forte civilisation urbaine. Outre Kairouan, les sites de Qasr al-Ma, Qasr al-Qadim/al-Abbassiya, Raqqada et al-Mansuriya/ Sabra ont été des foyers de vie citadine.

 Al Abassiya «  KasrElma ou EL qasr El qadim »  est le lieu où on trouve le plus grand potentiel hydrique de Kairouan non seulement par le fait de l’abondance de la nappe phréatique mais parce qu’elle est constamment alimenté par les grand oueds de Kairouan. Les Aghlabides ont doté leurs nouvelles villes de plusieurs installations. On constate que l’énorme pont qui relie Al Abassiya à la ville de Kairouan affiche la vassalité des Aghlabides envers leurs maîtres de Baghdad. Al Abassiya est un lieu de détente et villégiature (muntazah). C’est aussi un lieu de passage et une entrée de ville. En effet, les expériences urbanistiques qui ont vu le jour dans les environs de Kairouan ont été dans la direction sud-est vu la richesse en eau et l’abondance des limons.
Le but majeur de cette recherche est d’examiner comment l’agriculture a servi à qualifier le cadre de la vie humaine et sociale à Testour et Kairouan et à quel point elle a contribué à influer  l’urbanisme et l’espace architectural.Au regard de ce qui précède la question cardinale qui se pose : Comment l’agriculture a attribué à la genèse et à l’évolution du paysagearabo-musulman ?
D’autres questions jaillissent systématiquement de cette dernière:
         Comment identifierles spécificités urbaines et le dialogue paysager entre l’urbanisme et l’espace vert jardin dans la ville arabo-musulmane ?
         L’agriculture islamique peut-elle nous guider à réfléchir au concept de la ville verte  perçu comme le véhicule de la civilisation moderne ?
         Comment peut-on chercher une façon adéquate pour adapter les conceptsde l’agriculture islamique pour la diffusion d’injonctions au verdissement de la société surtout que les villes tunisiennes concentrent depuis plusieurs décennies des difficultés économiques, sociales et urbaines?
         Autrement dit peut-on consommer le concept du paradis avec  ses différents symboles, la sérénité, l’éternité et la paix et récupérer la charge imaginaire du jardin mythique arabo-musulman pour en faire un projet urbain ?
         L’agriculture peut-elle devenir un pilier de l’aménagement urbain ?
         Peut-on évaluer et élaborer un nouveau modèle urbain la ville jardin ?
Méthodologie
      D’emblée, nous chercherons dans l'histoireles sources d'influences et les caractéristiques de l’agriculture des villes arabo-musulmanes afin de mieux comprendre le paysage de la ville projet de l'analyse.
  
   Puis,  nous cherchons à décortiquer les composantes du paysage urbain de la ville de Kairouan et de la ville de Testour : palais d'émir, souk, habitations, citernes d’eau, jardin… et la nature des relations qui existent entre eux à partir de cartes anciennes, des cartes d’état-major, des photographies aériennes, les livres d’histoire des documents d'archives, la littérature géographique et poétique et d'observations de terrain.

En parallèle, nous opterons pour une description méthodique qui tient compte du:

         coté géographique : topographie, plaines, routes, agriculture, rivières etc.
         coté  naturaliste : flore et faune
         coté ethnographique : peuples et mœurs, croyances et curiosités, toponymie

Ensuite, nous nous concentrons sur l’agriculture et son impact sur le paysage. Essentiellement, nous focalisons sur la manière avec laquelle l’agriculture rythmeet jalonne le territoire et sur la façon avec laquelle elle assure à la fois la maîtrise du territoire et son habitabilité.

En effet, nous étudions les formes qui seront le lexique de base de l'aménagement : bassins ronds ...et nous focalisons sur leurs caractéristiques comme la régularité qui ne témoigne pas seulement d'une volonté de mise en ordre formelle et symbolique du monde, mais aussi, dans le contexte islamique, c’est le dévoilement de l'ordre divin caché sous les apparences du monde terrestre.

Nous cherchons également les différentes fonctions que l’agriculture peut les occuper, ses caractéristiques et la pratique sociale qui lui est attribuée …

Enfin, nous synthétisons et extrayons les différentes notions, concepts, types de relations, le modèle paysager...qui peuvent éventuellement être utilisés pour le verdissement de la société contemporaine. Les espaces verts seront la base de la composition urbaine .C’est autour d’eux que peut se structurer le bâti car peu importe sa taille, l’agriculture rassemble et représente un vecteur majeur de la centralité.

Notre travail comportera essentiellement deux approches: une approche historique et une approche contemporaine aménagiste.

Approche Historique
La notion de l’espace en islam dans le coran (l’espace vert en particulier):
La Notion de l’espace « Djenna » prend une dimension et une importance toute particulière dans le coran et en un mot c’est la récompense de ceux qui font le bien sur terre. Le texte divin a doté la « Djenna » d’une description luxurieuse et luxuriante.
Les sources d’influence de l’espace vert musulman:
*Chahar-Bagh (vision culturelle): Un « charbagh » (étymologiquement : « quatre jardins ») est considéré comme l'archétype du jardin islamique : un enclos de verdure quadripartite entouré de hauts murs, structuré par les canaux issus d'un bassin central.
*La Tapis nomade (vision sociale): Le tapis nomade est coloré souvent en vert et contient des motifs géométriques, des représentations de fleurs et des arbres... Les nomades  s’en sert pour faire la prière, s’assoir, un signe de faveur politique…
*L’enclos (vision philanthropique de l’espace) : C’est la notion de fermeture pour se centrer, s’isoler…pour que le cerveau s’intériorise et se concentre sur  la nature. C’est une initiation à la philanthropie.
*La géométrie (vision artistique non figurative): De manière générale, on distingue dans  les jardins islamiques les notions de (« régularité»,« ordre »,« symétrie »,« belles proportions », etc… En un mot, paysager un lieu, c'est le géométriser.
*Le Coran (vision édénique du paradis): Le vocable de loin le plus fréquent dans le Coran pour désigner le jardin est Djeanna, employé 66 fois au singulier, 69 fois au pluriel (Djenèt) et 7 fois au duel (djenètèni ou Djenatayni). Laquasi-totalité de ces attestations renvoie au jardin du paradis. C’est en premier lieu le jardin où séjourna Adam. Les musulmans irréprochables en seront propriétaires.
Il est le jardin de l’immortalité, «  djannat al-khuld », le jardin de délice, « djannat al-naim » (au pluriel est plus fréquente, le jardin d’Éden, «  djannatadan », le jardin du Paradis, « djannat al-firdaws », le jardin sublime « djannataliya », ou les jardins sous lesquels coulent les ruisseaux. Dans ces jardins se trouvent des sources « ouyoun », des salles « gouraf », des demeures agréables « masakintayyiba ». La représentation coranique précise que ce jardin paradisiaque a la grandeur du ciel et de la terre réunis et se trouve près du jujubier de la limite « sidrat al-muntaha ».L’intérieur est bien ombragé et parcouru de ruisseaux d’eau courante, de lait « laban », au goût non altéré, de vin « khamr » véritable volupté, de miel « asal » purifié.
Si « Djanna » l’emporte très largement dans le Coran, d’autres vocables sont à relever comme le parterre fleuri « rawda » la demeure du Salut « dar al-salam ».Or le vocable «  rawda » évoque un jardin à l’intérieur d’un grand palais. Ce paradis possède des portes avec des gardiens. Tout semble donc sous-entendre qu’il y a dans ce paradis des palais merveilleux dans lesquels sont installés les fameuses Houris, mais aussi les élus richement habillés. Ils porteront des bracelets « asawir » en or, en argent, en perles. Ils seront revêtus de vêtements en soie, de couleur verte et seront appuyés sur des coussins verts.
Un  autre aspect du paradis qu’il convient maintenant de développer est la boisson « charab », dont les élus jouiront. Cette boisson exceptionnelle faite à partir d’un mélange de camphre, ou de gingembre, leur est servie par des éphèbes immortels « wildan » ou « gilman ».
La plaisir de la boisson est accompagné par le plaisir du manger. Les élus trouveront toutes sortes de fruits en grand nombre, et à portée de main, dans des vergers « hadaiq ».
Plusieurs arbres sont mentionnés: les palmiers, les grenadiers et les vignes. Ils pourront également goûter aux viandes fines des oiseaux. Les plats sont en or.
Mais le plaisir le plus subtil reste sans doute la compagnie des fameuses “épouses purifiées” « azwèjamutahhara », que la tradition a identifiées aux vierges « abkar », que ni homme ni génie n’a touché. Elles se distinguent par leurs regards modestes « qasirat al-tarf ». Elles demeurent d’égale jeunesse « atrab », coquettes « urub », belles « hisan » comme le rubis et le corail. On trouve des rapprochements de cette  description paradisiaque avec les jardins de Baghdâd, de la Perse,  de Grenade…

Premier cas d’étude : l’horticulture islamique de la ville de Kairouan:
Kairouan est la plus ancienne base arabo-musulmane du Maghreb. Elle fut conçue par Okba Ibn Nafa en 670 après J.C. « Capitale de l’Ifriqiya pendant cinq siècles, elle a été un lieu de diffusion exceptionnel de la civilisation arabo-musulmane. Kairouan constitue un témoignage unique sur les premiers siècles de cette civilisation et sur son développement architectural et urbanistique. » L’environnement est aride et hostile. C’est un territoire de  plaine assez vaste et de collines ne dépassant pas les 200 m d’altitude. Les basses steppes sont dominées par la morphologie de plaines avec des sols fertiles sous une pluviométrie suffisante.
La composition du paysage aghlabide:
Selon la carte ancienne de la ville, on distingue les composantes du paysage urbain à Kairouan qui sont : Les palais, les demeures d’émir, les logements, la mosquée, les souks, les bassins, les aqueducs, le jardin…
*Les ouvrages hydrauliques aghlabides (les bassins, aqueducs, les citernes…): Le réseau hydrographique est constitué d’oueds violents au régime irrégulier. Le territoire du Kairouan couvre un grand bassin versant formé des sous-bassins des oueds zroud et marguellil, drainant les plaines centrales du territoire kairouanais, plus au Nord l’oued Nebhana qui longe la limite du gouvernorat qui se déverse dans les plaines de Sbikha.

«  Al-Abbâssiya offrait ses eaux à Kairouan pendant les sécheresses. N'y a-t-il pas là la principale fonction de Qasr al-Mâ' ? La zone comme l'avait remarqué Solignac, avait non seulement un apport constant par le fait de l'abondance de la nappe phréatique, mais aussi elle était constamment alimentée par les grands oueds de Kairouan. Ceux-ci apportent l'eau, ils amènent en même temps une masse importante d'alluvions, ce qui contribue à la richesse de la région. Les Aghlabides, à l'instar de leurs prédécesseurs, ont doté leur nouvelle ville de plusieurs installations. On raconte qu'AbûIbrahîm Ahmad, le constructeur des Grands Bassins aghlabides, avait édifié un énorme pont reliant al-Abbassiya à Kairouan, il érigea également, un grand réservoir d'eau dans la ville d'al-Qasr al-Qadîm.» (Mahfoudh.F 2003)

En effet, l’utilisation méthodique de l’eau est une préoccupation des aghlabides qui ont excellé à stocker l’eau dans de grands bassins « Les bassins furent construits sous le règne de l’émir Abu Ibrahim Ahmad Ibn Muhammad, sixième prince de la dynastie aghlabide, entre 859 et 863 de notre ère. ». Ses derniers donnent une preuve indiscutable de l’expertise hydraulique de  cette civilisation. En effet, différents projets ont été entrepris afin d’augmenter l’efficacité de la distribution de l’eau pour l’usage domestique et agricoles. Les travaux hydrauliques assurent la maîtrise des ressources en eau, indispensable à l'irrigation des cultures et aux établissements humains. Nécessaire aux ablutions, l'eau a également une fonction religieuse primordiale qui commande certains aménagements.On peut citer en guise d’exemple l’aqueduc de Cherichera qui alimentait les bassins aghlabides de Kairouanet l’aqueduc de Bir el-Adine. « L’aqueduc de Bir el-Adine qui draine les eaux du piedmont du Djebel Ouslet et les déverse dans les bassins des Aghlabides, à kairouan, s’étendant sur 33 Km à l’aval. Ses vestiges sontencore visibles.»(Mahfoudh.F 2003)
«  Al-Abbâssiya offrait ses eaux à Kairouan pendant les sécheresses. N'y a-t-il pas là la principale fonction de Qasr al-Mâ' ? La zone comme l'avait remarqué Solignac, avait non seulement un apport constant par le fait de l'abondance de la nappe phréatique, mais aussi elle était constamment alimentée par les grands oueds de Kairouan. Ceux-ci apportent l'eau, ils amènent en même temps une masse importante d'alluvions, ce qui contribue à la richesse de la région. Les Aghlabides, à l'instar de leurs prédécesseurs, ont doté leur nouvelle ville de plusieurs installations. On raconte qu'AbûIbrahîm Ahmad, le constructeur des Grands Bassins aghlabides, avait édifié un énorme pont reliant al-Abbassiya à Kairouan, il érigea également, un grand réservoir d'eau dans la ville d'al-Qasr al-Qadîm.» (Mahfoudh.F 2003)

*Les jardins aghlabides: Pour construire sa ville, Okba a dû ordonner le déboisement de la zone. L’aspect très riche et très touffu de la forêt kairouanaise est magnifié par al-Bakrî qui décrit la richesse du lieu en ces termes : «A Kairouan dit-il on a pas d’autres bois à brûler que celui que l’on coupe aux oliviers des environs, et chose bien extraordinaire, les arbres ne souffrent en aucune façon de ce rude traitement ». La plaine méritait son surnom de « Fahs al-Darrâra » la plaine de l’abondance.
« Le nom de fahs al-Darrâra donné à la plaine atteste de cette fertilité légendaire. Le mythe de la fondation de la cité révèle même l’existence d’une forêt extrêmement dense habitée par des bêtes fauves et des reptiles, ce qui n’est pas forcément une légende. La proximité des sebkhas nous est présentée, par ailleurs, comme étant un des éléments déterminants dans le choix du site, puisqu’elles renferment une réserve d’eau et de fourrages quasi inépuisable. »
Les jardins aghlabides occupent maintes fonctions qui peuvent être décortiquées comme suit :
*Le jardin dédié à l’agriculture: Il y était pratiqué l’élevage, la production de céréales, des fruits et légumes…
*Le jardin dédié à la promenade la détente: « Al-Raqîq donne un récit très riche et détaillé des festivités ; il indique clairement que Qasr al-Mâ' se trouvait à deux milles au sud de Kairouan, qu'il y avait des constructions solides dont un bâtiment à galeries, doté d'une scène avec rideaux ; Mûsâ, avait alors profité d'un spectacle donné par des jeunes danseuses ; l'endroit nous est décrit comme un parc très plaisant et attirant ; c'est un muntazah » (Mahfoudh.F  2003 )
« Al-Abbâssiya est aussi décrite par nos sources comme un lieu de détente et de villégiature : un parc, muntazah »(Mahfoudh .F 2003)
*Les jardins d’Emir: « Un autre Aghlabide, Ibrahim II, se fit construire une nouvelle résidence, également dans le voisinage de Qairouan, Raqqada où il multiplia les travaux, élevant une mosquée, des châteaux, dessinant des jardins. » (Mahfoudh .F 2003)
*Le jardin comme lieu d’affranchissement: « II est donc bien clair que la route vers l'Orient passait par notre zone dénommée ici al-Qasr. Zone très riche et densément occupée par des cours d'eau important tels que Oued Zroud, Srawil (peut être actuellement oued Mâlih) et oued al-Tarfa, etc., » (Mahfoudh.F2003)
*Les palais Aghlabides à Raqada : «... les résidences et les palais des Aghlabides sont à deux milles de Kairouan, ils sont entourés de clôtures et furent habités jusqu'à ce qu'Ibrahim Ibn Ahmad construisît, à huit milles de Kairouan, la nouvelle cité dite de Raqqâda. C'est là qu'il érigea son palais ».
*Les zaouias: La zaouia est un édifice religieux qui contient le tombeau d’un homme saint et les habitants le fréquentent pour assister aux cultes des saints, aux fêtes liées à un événement relatif au bonheur populaire comme le moussem… En guise d’exemple La Zawiya de Sidi Abid el Gahriani et La Zawiya de Sidi Amor Abada.

*Les mosquées: Kairouan est une cité  sacrée et mythique. Personne ne peut l’évoquer sans parler de la grande mosquée  de Kairouan ce lieu de prière formant un quadrilatère de 135 mètres sur 80 mètres et comprenant, au sud, une salle de prière hypostyle de dix-sept nefs soutenue par une forêt de colonnes en marbre et en porphyre et, au nord, une vaste cour dallée bordée de portiques interrompus, dans l’axe du petit côté nord, par la forme massive d’un minaret de plan carré à trois étages. D’autres mosquées célèbres à Kairouan : La mosquée aux trois portes et La mosquée du Barbier.
*Les remparts : Ils ont pour rôle de maintenir la sécurité. « Les remparts, édifiés principalement en briques cuites et en pisé, entourent une médina de 54 hectares ; leur périmètre est de 3,5 kilomètres pour une hauteur comprise entre quatre et huit mètres. »

*Les habitations : L’une des caractéristiques de l’urbanisme arabo-musulman qui se manifeste clairement dans les logements est l’urbanisme d’intimité qui se manifeste par les façades aveugles sur les espaces de circulation. Les habitations sont juxtaposées les unes au autres.


Approche contemporaine aménagiste
L’agriculture comme instrument de planification urbaine de la ville moderne :
A la manière des musulmans qui ont structuré leur la ville par rapport à ses ressources naturelles en eau, ses terres fertiles, sa géologie... tout en profitant des matériaux locaux et des modes de constructions  qui s’intègrent parfaitement dans le site naturel, la ville moderne doit se structurer par rapport à ses caractéristiques naturelles.Ainsi, le positionnement de l’élément vert dans la ville sera un élément catalyseur du développement urbain et c’est autour duquel que se planifiera toutes les commodités de la vie moderne : les routes, ponts, habitations, équipements…Une requalification physique de certains lieux doit être préconisée.   
Le schéma directeur d’urbanisme doit adopter une politique verte qui permettra à l’espace non bâti de prendre en place en ville pour avoir un rôle économique (la production agricole) ou pour se convertir à un espace public (un parc, un jardin public…).
La notion de l’agriculture urbaine et périurbaine :
L’espace agricole tend à céder sa place à la construction mais malheureusement l’impact de l’étalement urbain sur les terres agricoles ne se réduit pas aux surfaces consommées par les constructions et les infrastructures nouvelles, mais il nuit aux terres cultivées avoisinantes et défigurent  radicalement le paysage existant. C’est pour cette raison qu’on doit fixer les modalités de participation de l’agriculture à la ville par des concepts qui sont :

*La bonne gouvernance et une vision politique en faveur de l’agriculture urbaine :
Le pouvoir de l’état est incontournable pour mettre en valeur l’agriculture urbaine et rassurer les agriculteurs de l’efficacité  de sa pratique et de les encourager à en investir.
Ainsi, les logiques de fonctionnement de l'agriculture doivent orienter le schéma directeur de l’aménagement (SDA) et participera à son élaboration.

*La bonne lecture du terrain mis en disposition :
Le premier principe qui caractérise la ville arabo-islamique est son adaptation à son site :              le climat, la topographie…
En outre, La nature du sol et sa composition sont deux composantes essentielles pour cibler quel genre de production agricole s’adaptera à cet espace ou s’il s’apprêtera beaucoup mieux à une autre activité ou nécessitera un traitement spécifique qui doit être négocié entre les différents acteurs.

*Un plan d’action urbain durable :
L’adoption d’une méthodologie urbaine qui synthétise les besoins socio-économique et culturels de la société et qui obéit aux différents axes du développement durable.
L’urbanisme vert et l’architecture verte :
L’urbanisme vert est un urbanisme motivé par une volonté écologiste très forte(Rejeb2011).Le recourt à cette notion permet à l’aménagement urbain d’offrir  un cadre de vie optimum pour les citadins,  d'assurer aux populations résidentes et futures des conditions d'habitat, d'emploi, de services et de transports répondant à la diversité de ses besoins et de ses ressources, de gérer le sol de façon économe, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de réduire les consommations d'énergie et d'assurer la protection des milieux naturels et des paysages...
La conséquence immédiate de l’urbanisme vert est l’adoption d’une architecture verte. L’espace agricole du monde arabo-musulman  est un lieu d’architecture verte : dans un double mouvement. Les formes végétales ont inspiré les formes architecturales et la décoration des différents monuments (armatures, voûtes …). L’art des jardinsest une reconstruction de la nature (jeux spatiaux, perspectives)… L’agriculture sert aussi à éduquer des populations à la morale, à l’ordre et à l’hygiène.
L’espace agricole arabo-musulman comme étant un sensorium:
La sensorialité se manifeste à travers les quatre sens :
-L’Ouïe: Il peut avoir une origine aquatique (eau fontaines, gargouilles, cascades,…), une origine éolienne (air, vent, bruissements…), une  origine météorologique (pluies, tonnerre…) une origine animale (oiseaux, insectes, silence).
-Le Goût: Productions et récoltes: légumes, fruits, graines, racines, baies, feuilles…
-Le Toucher:les matières : veloutées, épineux, rugueux, lisse, humide, sec, collant, gluant… les densités : aquatiques, minérales, végétales… textures: croquant gluant farineux…
-La Vue:couleurs, formes matières, lignes rythmes…

Références

Abdelkafi, J., 1999, Etude d’inventaire des paysages naturels de la Tunisie. Description et tableau synoptique des paysages et espaces naturels par région, Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, Direction Générale de l’Aménagement du Territoire.
Attilio, P.,1990,Dar-Islam,PierreMardaga ,Bruxelles
Basset,A., 1931, Les Aghlabides et l'Ifriqiya M. Vonderheyden. La Berbèrie orientale sous la dynastie des Benou-l- Aghlab (800-909)]
Fleury,A , Donadieu, P., 1997, de l'agriculture péri-urbaine à l'agriculture urbaine, Courrier de l'environnement de l'INRA n°31
Baridon, M., 1999, Les jardins. Paysagistes-Jardiniers-Poètes, Robert Laffont, Paris.
Besim, H., 2008, Arabic-IslamicCities 
Conan, M., 1999, Perspectives on Garden Histories,DumbartonOaksResearch Library and Collection, Washington, D.C
Cressier,P, Mercedes, G-Al., 1998, Genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental.
Cressier,P, Rammah, M.,2004,Première campagne de fouilles à Ṣabra al-Manṣūriya (Kairouan, Tunisie)
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